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Lo Drapet, un cheval fantôme d’Aigues-Mortes

Commençons tout d’abord par établir un fait indéniable : si c’est à Aigues-Mortes que sévit le Drapet, il n’est pas le seul équidé fantôme de notre région mais seulement le plus connu et le mieux documenté. On lui connaît au moins deux cousins proches : un âne maléfique du Mas-Cabardès et un cheval hantant les alentours du trou de Viviès, près de Narbonne.  

Frédéric Mistral indique qu’un drapet est, à Montpellier, une sorte de fantôme (drapé dans son suaire) mais qu’un peu partout dans la région, un draquet est un petit diable, un petit drac ou encore une sorte de farfadet malveillant. Le nom du Drapet pourrait être issu d’une rencontre et peut-être d’une confusion entre ces deux mots. 

Le Drapet, quoi qu’il en soit, apparaît sous la forme d’un grand cheval pâle. Il peut se faire voir les jours de brume, dans les marais entourant Aigues-Mortes. Le promeneur qui le voit, le croyant égaré, peut être tenté d’entrer dans le marais pour aller chercher l’animal mais celui-ci s’éloigne au fur et à mesure qu’on se rapproche de lui, entraînant sa victime toujours plus loin, jusqu’à la perdre dans les eaux. 

Il peut aussi sévir sur les bords de mer, toujours à la nuit tombée, avec peu ou prou la même tactique : on ne retrouve sur le sable que les traces de pas de sa victime, partie vers la mer et qui n’est jamais revenue. 

Mais il hante aussi la ville elle-même : à la nuit tombée, il pourrait faire le tour des murailles, voire parfois pénétrer dans la cité. Il parcours alors les rues, repérant les enfants qui sont encore dehors tard le soir, surtout si ceux-ci sont des trublions désobéissants, sortis sans l’autorisation de leurs parents. Le son des sabots du Drapet sur les pavés de pierre est, dit-on, particulièrement mélodieux et attire l’attention des garnements, qui accourent pour voir de quoi il s’agit. Le Drapet les prend alors sur son dos. Le dos en question, d’ailleurs, s’allonge au fur et à mesure que de nouveaux garnements lui grimpent dessus : on ne manque jamais de place, quand on veut chevaucher le Drapet. Les enfants ainsi emportés rient et chantent tant qu’ils se trouvent sur son dos, souvent ravis par cette aventure inattendue … mais le Drapet finit par s’éloigner dans la brume et on ne revoit jamais ses cavaliers. La légende indique cependant que si le dernier des enfants à être monté sur le dos du cheval fantôme fait le signe de croix et s’écrie : Jésus, Marie, grand saint Joseph !, le Drapet disparaît aussitôt. 

Il y a plusieurs origines possibles à la légende du Drapet : le danger des sables mouvants dans les marais de Petite Camargue a toujours été réel et peut justifier l’origine du conte. La côte héraultaise et gardoise fut aussi, pendant des siècles, l’objet des razzias des barbaresques, qui enlevaient des gens sur les plages (et parfois plus loin à l’intérieur des terres) pour les vendre sur les marchés d’Afrique du Nord, et dont l’activité, toujours crainte, a pu être à l’origine de nombreuses disparitions dans la région. 

Mais d’abord et avant tout, comme tous les croque-mitaines, lo Drapet sert à faire peur aux enfants pour les pousser à l’obeissance. Ainsi, on entendait encore, en 1965, des familles d’Aigues-Mortes et du Grau-du-Roi menacer les enfants de les “jeter au drapet” s’ils n’étaient pas sages. Dans la mesure où le Drapet ne s’attaque qu’aux enfants vagabonds ou fugueurs peut aussi indiquer une critique à l’égard des parents manquant de vigilance. 

Enfin, on rapporte une formulette (c’est-à-dire une comptine du genre Plouf-plouf), typique d’Aigues-Mortes, qui aurait été scandée par les enfants jusque dans les années 1950 : 

Que cavalarà lo Drapet ?
Tu o ieu ?
Tu o ieu ?
Lo que lo Drapet emportarà, seràs tu !

Qui chevauchera le Drapet ?
Toi ou moi ?
Toi ou moi ?
Celui que le Drapet emportera, ce sera toi !

Photos : Lucia Macedo sur Unsplash, pratik prasad sur Unsplash